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Le Triangle de Gonesse comme espace symbole

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Le 18 mars 2023, des militants associatifs se sont réunis devant le siège de l’UNESCO pour appuyer leur demande de classement des terres fertiles de Saclay et de Gonesse au patrimoine mondial de l’humanité. Est-ce qu’une telle demande est justifiée ou ne s’agit-il que d’une action de communication en relation avec des luttes environnementales ? Nous allons tenter d’éclairer la question sur le cas du Triangle de Gonesse. 

La saga du Triangle de Gonesse : petit rappel des faits :

Le Triangle de Gonesse, c’est 780 ha de terres agricoles très fertiles les plus proches de Paris, une chance énorme pour mettre en place des productions de qualité et des circuits courts pour les habitants du Val d’Oise et de la Seine-Saint-Denis. De plus, ces sols et leurs arbres  retiennent du carbone, favorisent la biodiversité et offrent l’un des plus proches  îilots de fraîcheur de l’agglomération parisienne que tous les franciliens apprécieront pendant les pics de chaleur annoncés . Mais, sous la pression d’un aménageur public, l’EPA Plaine de France, intégré depuis à Grand Paris Aménagement (GPA), le SDRIF de 2013 déclare que 280 ha peuvent être urbanisés pour composer (sous les cônes de bruits des avions) une « ville aéroportuaire », sous la double condition d’une desserte par un transport de masse et d’une saturation des espaces d’activités existants. 

Les études débouchent sur un énorme programme de commerces et de bureaux, avec, en point d’orgue, un complexe de loisirs et de commerces pour 30 millions de visiteurs (!) EuropaCity, monté par le groupe Auchan avec l’appui d’un opérateur chinois. On promet aux élus locaux des emplois à la pelle, et des investissements énormes qui leur profiteront. Pour que l’urbanisation soit possible, on fait passer par le Triangle la ligne 17 Nord du Grand Paris Express qui devra aussi desservir le terminal T4 de Roissy, et on implante une gare en plein milieu de la future ZAC du Triangle de Gonesse.  Les associations environnementales se mobilisent et reçoivent des appuis de toutes parts ; un contre projet émerge en faveur d’une transition agroécologique et agroalimentaire (CARMA). En novembre 2019, face à cette mobilisation, le Président de la République déclare le projet inadapté aux exigences de l’époque et en annonce la suppression. Fureur  des élus locaux qui demandent des compensations. Le groupe Auchan, lui, en dehors de l’indemnisation pour abandon du projet prévue dans sa convention avec GPA, se voit en compensation désigné comme promoteur du réaménagement de la Gare du Nord, projet également monstrueux qui fera flop un peu plus tard. 

Pour répondre aux élus locaux, Elisabeth Borne, à l’époque en charge de la transition écologique, demande à un haut fonctionnaire de proposer des projets alternatifs à EuropaCity. Le rapport de ce dernier, prudent, propose trois scénarios, dont un repoussoir d’une urbanisation forcenée, et deux autres faisant la part belle à certains projets agroécologiques et agroalimentaires. Il propose aussi de déplacer le tracé et la gare pour la rapprocher des habitants du Val d’Oise. Entre-temps, du fait de la crise du COVID, le terminal T4 est également remis à des jours meilleurs, mais la Société du Grand Paris continue la réalisation de ces infrastructures, n’ayant reçu aucune indication contraire de la part de l’Etat. Ce rapport déplait fortement aux élus val d’oisiens, et il ne sera jamais rendu public. Pourtant, le Premier Ministre Jean Castex le 7 mai 2020 annonce un « plan Val d’Oise ambitieux » ; les 280 ha sont réduits à une urbanisation de 110 ha au milieu du Triangle, avec une cité éducative internationale comportant notamment un internat, l’implantation d’un service de l’Etat, et quelques autres petits programmes. La gare en plein champs et la ligne 17 nord sont confirmés. Mais la vocation agricole et agroalimentaire du site est  consolidée du fait de la société publique SEMMARIS qui devrait implanter dans l’Est du Val d’Oise une plateforme identique à celle de Rungis, et qui se voit confier, en prenant appui sur ce territoire, une mission opérationnelle  d’organisation des marchés des circuits courts pour l’Ile de France ; d’ores et déjà, les 170 ha de l’ancienne ZAC sont destinés à un « pôle d’excellence de la transition agroécologique pour l’alimentation du futur » confié à la SEMMARIS ; l’ensemble du projet SEMMARIS sera baptisé AGORALIM et un rapport de présentation du projet pour approbation et  cofinancement sera remis au Premier Ministre en janvier 2022… aucune réponse officielle jusqu’ici ; mais le projet semble en bonne voie d’être confirmé. Ce projet n’assure en rien la préservation des espaces agricoles avec leurs fonctions écosystémiques.

Quelles sont les politiques publiques affichées s’appliquant aujourd’hui à des espaces de ce type ? 

Ces excellentes terres agricoles, proches de Paris et de zones résidentielles comportant de nombreux quartiers d’habitat à consolider économiquement et socialement, se trouvent être concernées par plusieurs politiques publiques majeures : 

Lancées en juillet 2017, les Etats Généraux de l’Alimentation traitent de deux grands chantiers (création et répartition de la valeur & alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous) et proposent pour cela une feuille de route nationale. Cela se traduit par 2 lois EGAlim 1 et EGAlim 2 comportant des mesures comme :

  • 50% de produits durables ou sous signes d’origine et de qualité (dont des produits bio) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022 ;
  • Intensification de la lutte contre le gaspillage alimentaire, avec la possibilité étendue à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire de faire des dons alimentaires ;
  • Elaboration par les collectivités locales de Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) visant à promouvoir une alimentation saine, durable et accessible à tous, dans une perspective « du champ à l’assiette ». 

 Ces mesures sont censées bouleverser certains modèles de restauration collective et faciliter le développement des productions bio, locales et en circuits courts. Quelle chance de disposer comme terrain d’expérimentations des mutations à intervenir, en plein cœur de l’aire métropolitaine parisienne, de 780 ha de très bonnes terres agricoles, avec d’ores et déjà des acteurs prêts à lancer ces expérimentations ! 

Au même moment, dans le cadre du Pacte vert européen, la Commission européenne propose une refonte du système alimentaire européen à travers la stratégie « De la fourche à la fourchette ». Celle-ci vise à faire de l’Europe le pionnier mondial d’un système alimentaire positif pour le climat, la biodiversité et la santé. Il s’agit d’innover massivement pour se positionner en pionnier d’un système alimentaire positif pour la biodiversité, le climat et la santé, et capter ainsi des avantages comparatifs durables dans la mondialisation. La stratégie envisage ainsi une transition du système alimentaire dans son ensemble, fixant des objectifs et fournissant des outils pour intervenir à tous les niveaux : production agricole, organisation des filières, modification des pratiques alimentaires, organisation des marchés. Quelle chance pour l’Ile de France de disposer du Triangle de Gonesse (et des terres agricoles de Saclay), proches de centres d’enseignement et de recherche et d’entreprises dynamiques prêtes à innover !

En 2022, Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile de France affirme que le SDRIF de 2013 est obsolète et ne répond pas aux nouveaux enjeux de la lutte pour le climat et la biodiversité, elle lance l’élaboration d’un SDRIF-E (environnemental), avec pour perspectives prioritaires  la lutte contre l’étalement urbain, l’intégration du principe de l’économie circulaire dans l’aménagement du territoire et comme traduction majeure une application rigoureuse du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) acté par la loi Climat et Résilience de 2021. Quelle chance pour la Région de montrer que l’urbanisation évoquée par le SDRIF de 2013 sur le Triangle de Gonesse est inadaptée et de faire dans cet espace préservé une démonstration du rôle des sols agricoles dans la lutte pour le climat et la biodiversité. 

Et pourtant, aucune de ces chances n’est actuellement saisie, et certains acteurs publics nationaux et régionaux cherchent à tout prix à conserver 280 ha pour l’urbanisation avec la réalisation d’un centre d’affaires international de 800 000 m², ce qui permet de justifier l’existence d’une gare du Grand Paris Express, éloignée des habitants des communes voisines. Le tout correctement peint en vert, naturellement. 

Le Triangle de Gonesse comme symbole

En préalable, il faut savoir qu’un grand projet démonstrateur du passage de l’agriculture céréalière conventionnelle à d’autres types d’agriculture  contribuant à la santé alimentaire, et à la lutte pour le climat et la biodiversité au sein d’une économie circulaire est possible et même amorcé sur le Triangle et son environnement rural et urbain. 

Le projet AGORALIM est dans une phase de préparation avancée. La Communauté d’Agglomération Roissy Pays de France établit un Projet Alimentaire Territorial ambitieux. Un Pôle Territorial de Coopération Économique autour de la filière bio a été créé par l’Association CARMA et les premières actions sont en cours de montage ; une étude foncière a montré que beaucoup d’exploitants agricoles en place sur le Triangle avaient des intérêts limités au niveau du territoire, et se comportaient comme des rentiers de leurs droits d’usages agricoles en recourant notamment à   des prestataires de services ; ce qui a permis de proposer une stratégie réaliste de contrôle des cessions des droits d’usages agricoles (mutations foncières, locations, cessions de parts sociales d’entreprises agricoles). L’Etat, la Chambre Régionale d’Agriculture et les partenaires concernés devraient pouvoir accompagner ces diverses initiatives et en proposer de nouvelles. Plusieurs communes ont des projets importants en matière d’agriculture urbaine.  Enfin, sur les questions sociales touchant la précarité alimentaire et sur la sensibilisation des habitants au « bien manger », des associations citoyennes, des organismes universitaires, des collectivités du Val d’Oise et de la Seine-Saint-Denis ont démarré des actions qui rencontrent l’adhésion des habitants. Bien d’autres perspectives s’ouvrent pour conforter les perspectives d’un passage rapide à une alimentation saine et durable assise sur des systèmes de production et de transformation locaux et régionaux et accessible à toutes les catégories de population. 

Or, le constat actuel est que les principaux efforts de la puissance publique et de ses outils portent sur l’urbanisation massive de 110 ha de terres agricoles , avec le souhait d’aller si possible d’une extension partielle sur les 170 ha restants de la ZAC toujours en vigueur  de 280 ha  créée pour le centre d’affaires, de commerces et de loisirs, et en laissant faire la concentration foncière agricole en faveur d’une agriculture capitaliste à salariés et prestataires, au détriment d’une agriculture de proximité, diversifiée, et assurant des fonctions écologiques en faveur du climat et de la biodiversité.

Le Triangle comme symbole d’un décalage croissant entre affichage politique et mise en œuvre effective

On peut comprendre que les objectifs affichés par la puissance publique se heurtent à quelques difficultés dans la phase de réalisation, et que des ajustements soient nécessaires. Mais de là, à ce  que la réalisation contredise les objectifs affichés, cela n’est plus acceptable. Dans le cas du Triangle de Gonesse, le choix d’une urbanisation sur ces terres agricoles ne se justifie pas, alors que tous les efforts devraient porter pour réaliser le pôle de mutation agroécologique et de changement de modèle agricole promis par le Premier Ministre. Certes , les élus locaux sont préoccupés de la situation sociale dégradée qui prévaut dans plusieurs quartiers et par la nécessité d’améliorer le système de mobilités pour leurs habitants. Mais il a été montré lors des multiples débats que le pôle agricole et agroalimentaire était porteur d’emplois et de développements novateurs, que des localisations sur des friches industrielles ou commerciales pour de nouveaux aménagements étaient possibles, et que les priorités des habitants en matière de déplacements ne passaient pas par une gare du RER éloignée de leurs résidences. L’irrationnalité des choix actuels est totale, et pourtant rien ne semble en mesure de les faire évoluer, surtout en l’absence de dialogue approfondi entre les acteurs concernés, les habitants et les associations pour rechercher de bonnes solutions de compromis.  

Qu’est ce qui explique ce décalage ? Le poids d’intérêts économiques ? L’action de lobbies ?  L’attachement à des modèles de développement dépassés ? Ou la prééminence de tactiques politiciennes ? 

Le Triangle comme symbole de la prééminence des forces conservatrices vis-à-vis des exigences de la lutte pour le climat et la biodiversité

Depuis l’aggravation de la situation de l’environnement, des difficultés des états à y répondre en mêlant justice sociale et justice environnementale, on a pu constater les divers types de résistances au changement qui se manifestaient, tant au niveau individuel que collectif. Certaines sont compréhensibles : on ne change pas facilement de mode d’alimentation, les entreprises ont besoin de temps pour faire évoluer leurs produits ou leurs modes de production, etc. Mais cela se gère par des mesures éducatives, facilitatrices, voire par des incitations financières ou fiscales.

Dans le cas du Triangle de Gonesse, c’est autre chose dont il s’agit. Le pôle de Roissy s’est développé par l’aérien, la logistique, le commerce de gros et le tourisme. Si les pouvoirs publics et leurs outils d’aménagement souhaitent infléchir  un peu ce type de développement, c’est toujours en urbanisant des espaces éloignés des centres urbains et faisant appel à de la croissance externe en espérant des implantations d’entreprises internationales. Le reste, notamment les productions agricoles, horticoles et leurs mutations de filières, et la recherche d’un développement plus endogène sont considérés comme accessoires. Du côté des productions agricoles, à partir du moment où les marchés et la rentabilité sont favorables à l’intérêt des détenteurs des entreprises agricoles , on n’envisage pas que d’autres critères liés à une utilité sociale, sociétale, et écologique puissent jouer.  Il semble que les esprits aient du mal à changer d’époque. 

Et tout est alors mis en œuvre de facto par des acteurs politiques et économiques pour que rien ne change, tout en faisant des promesses de changements pour satisfaire l’opinion. 

Quelles perspectives sont envisageables ? 

Les associations environnementales sont engagées dans des luttes frontales pour défendre leurs convictions et peuvent légitimement se réclamer des politiques publiques affichées ; avec comme armes les recours juridiques, les manifestations, les ZAD (Zones A Défendre), etc ; … Les collectivités sont désorientées par les positions peu claires de l’Etat qui ne permettent aucune planification sérieuse, et qui ne facilitent pas le dialogue avec leurs administrés. Les pouvoirs publics s’efforcent de gérer des objectifs contradictoires et  ne parviennent pas à définir et à faire partager un projet clair de long terme qui correspondent aux attentes du territoire et aux exigences du moment. Dans ce contexte, le Triangle de Gonesse a tout pour devenir le symbole d’un immense gâchis. 

Une lueur d’espoir existe toutefois  si un dialogue constructif parvient à s’engager entre tous les acteurs concernés, en relation étroite avec les habitants du Pays de France. Les fondements d’un projet majeur de mise en place des conditions novatrices d’un système alimentaire territorial d’avenir, dont l’Ile de France pourra être fière, existent. Il s’agit de préserver et d’améliorer un écosystème (naturel, agricole, agroforestier) sur le Triangle de Gonesse, avec l’implication effective des populations concernées. Il reste à rassembler dessus toutes les énergies et les compétences. Le Triangle pourra alors devenir le symbole d’une mutation majeure réussie…. Et être classé au patrimoine mondial de l’Humanité !



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