Connect with us

Bonjour, que recherchez-vous ?

En pleine actualité

La forêt est une part de notre humanité

FacebookTwitter

Grèce, Hawaï, Canada, Méditerranée et Maghreb… Un été 2023 meurtrier. Depuis 2019 – et les incendies géants qui ont ravagé le bush australien et une grande part de l’Amazonie, pas d’été (ou d’hiver austral) désormais sans mégafeux détruisant des millions d’hectares de forêts, partout sur la planète. Richesse aux ressources innombrables mais pas infinies, la forêt aussi attise les appétits financiers que des politiques austéritaires et néolibérales servent avec zèle, en dépit de la biodiversité et de la préservation du climat.

_

À l’heure où ces lignes sont écrites, la Grèce affronte « le plus grand incendie d’un seul tenant, depuis 2008 (…), jamais enregistré par l’Union européenne », selon l’observatoire européen Copernicus Emergency Management Service. Près de 25 000 personnes ont dû être évacuées d’urgence du nord d’Athènes, 32 000 habitants des îles de Corfou et de Rhodes… et 18 personnes, des migrants contraints à la clandestinité, ont été retrouvées mortes, prises au piège dans les massifs aux frontières de la Turquie. Le feu a ravagé plus de 81 000 ha de forêts, soit près de huit fois la superficie d’une ville comme Paris.

Au même moment, au Canada, la barre des 15 millions d’ha brûlés est franchie ; l’équivalent de trois départements français ou une surface à peine plus grande que celle de la Grèce toute entière. Cela représente déjà deux fois plus du précédent record enregistré en 1989 pour une saison complète de feux alors que celle que nous vivons n’est pas encore achevée.

Sur tous les continents, de la Grèce au Portugal, de Hawaï aux îles Canaries, du Tenerife (îles Canaries, Espagne) et Portugal à l’Algérie et la Tunisie… en cet été 2023, le feu a réduit en cendre des dizaines de milliers d’hectares de forêts. En France, si la situation est moins grave qu’en 2022 – une année record avec 72 000 ha de forêts brûlés –, des incendies violents ont frappé les Hautes-Alpes, les Bouches-du-Rhône, la Corse et les Pyrénées-Orientales.

À chaque fois, c’est tout un écosystème et sa biodiversité qui sont détruits avec l’ensemble du système forestier et les services écosystémiques qu’il rend à la formation des sols,  avec la décomposition des débris végétaux et animaux, la photosynthèse, la croissance des arbres, les échanges racinaires de nutriments entre arbres et champignons, ou encore l’évapotranspiration, la régénération et les puits de carbone que constituent les étendues boisées.

Quand la forêt brûle, une part de notre humanité qui disparaît. « Qu’ils soient intentionnels, accidentels ou liés au réchauffement climatique, souligne la philosophe Joëlle Zask, autrice de Quand la Forêt Brûle, l’homme porte la responsabilité des mégafeux. », ajoutant que « ce phénomène nouveau est symptomatique de l’ambiguïté fondamentale de notre rapport à la nature à l’heure de la crise écologique. Une nature à la fois idéalisée, bonne en soi, à laquelle il ne faudrait pas toucher pour la laisser la plus vierge et pure possible ; et, de l’autre côté, une volonté de domination bien connue, menant à la destruction. »

Des enjeux fondamentaux donc, intimes, vitaux, écologiques et économiques se posent à travers les politiques forestières. Et d’ailleurs, les appétits de rentabilité et les logiques comptables sont sur le coup, avec leurs objectifs chiffrés de rentabilité immédiate. Une forêt brûle ? On va replanter de quoi produire, vendre et tirer de nouveaux maxi-profits en peu de temps.

Mais « une politique forestière ne se limite pas à un nombre d’arbres plantés », s’insurge Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l’association Canopée – Forêts vivantes, pour qui les annonces chocs du président de la République ne font pas illusion. Le 26 juillet dernier, le Conseil supérieur de la forêt et du bois a remis un rapport « Objectif Forêt » qui propose un plan de 10 milliards d’euros sur 10 ans, destiné à préparer le plan national de renouvellement forestier dans la continuité de la volonté présidentielle de planter un milliard d’arbres dans la prochaine décennie. Or, cet objectif comptable de plantation pourrait être contre-productif : « Il est urgent que des arbitrages aient lieu au plus haut sommet de l’État pour placer le maintien et la restauration de la biodiversité au cœur de la stratégie forestière », insiste Sylvain Angerand. « Sans critères plus stricts, le risque est de subventionner massivement une politique de destruction du puits de carbone et de mal-adaptation des forêts françaises au changement climatique. »

Même avertissement du biologiste Gilles Bœuf, dans l’entretien qu’il nous a accordé (lire dans La Terre n°12) : « Il faut absolument éviter la monoculture forestière avec une essence unique, comme on l’a fait en Nouvelle-Aquitaine avec les pinèdes. Il faut introduire de la biodiversité. La monoculture ne marche pas, surtout vis-à-vis du changement climatique. »

Ainsi, « plus la diversité génétique est importante et plus la forêt sera résiliente », insiste le directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) à Bordeaux, Sylvain Delzon, interrogé par l’Humanité, le 23 août dernier. « Le fait d’avoir une diversité interspécifique, précise le chercheur, limite la vulnérabilité, comme en agriculture. C’est quelque chose qu’il faut bien intégrer dans le plan de gestion au moment de la plantation. »

Un souci partagé par Loukas Benard, technicien forestier à l’Office national des forêts (ONF) et secrétaire général de la CGT Forêt : « Mettre de l’argent pour planter des arbres ne veut pas dire que l’on va mieux gérer les forêts. On risque de financer des pratiques industrielles, les coupes à blanc, la monoculture. C’est bien de planter des arbres à condition de s’interroger sur les essences à planter et dans quelle proportion. Il faut veiller à l’enrichissement des peuplements et à la diversité des essences. Planter plusieurs essences permet de donner plus de chances à la forêt de résister au changement climatique à long terme. » Le syndicaliste poursuit : « La forêt, c’est un écosystème. Même dans une plantation destinée à la production de bois, il est nécessaire de planter une diversité d’essences dont certaines vont remplir un rôle d’accompagnement du peuplement et d’apport de biodiversité. »

Antoine Kremer, directeur de recherche émérite et Laurent Bouffier, chercheur en génétique forestière, tous deux membres de l’INRAE, rappellent d’ailleurs qu’« aucune sylviculture n’est meilleure qu’une autre dans l’absolu, en particulier dans un contexte changeant, et il serait illusoire d’essayer d’identifier une sylviculture qui permettrait de répondre à l’ensemble des enjeux. C’est donc cette mosaïque de forêts, dont l’agencement doit être pensé à différentes échelles spatiales pour prendre en compte les interfaces avec les autres milieux, qui sera porteuse d’une diversité utile pour affronter le défi climatique. « Nous avons les atouts, estiment les deux chercheurs, pour mettre en œuvre des politiques publiques volontaristes en ce sens, à savoir une diversité de forêts façonnées par des générations de forestiers et un corpus de connaissances scientifiques et empiriques accumulées durant ces dernières décennies. Enfin, la société elle-même manifeste un intérêt réel à s’approprier cette réflexion. »

Les deux chercheurs, dont la contribution a marqué les débats des spécialistes mobilisés au cours de cet été, lancent aussi un appel qui vaut avertissement pour les autorités compétentes : « Le temps n’est plus à des décisions verticales et dirigistes, mais à des politiques publiques démocratiquement consenties après un débat éclairé. » Une politique forestière durable nécessite donc de la démocratie et de la cohérence. Des exigences qui ont conduit la CGT Forêt (syndicat des personnels de l’ONF) à proposer que l’ensemble des acteurs et des représentants des activités concernées et de l’ONF soient regroupés au sein d’un « pôle public de la forêt et des espaces naturels ».  La forêt demande de la liberté, de l’espace, du soin, du temps. Nous le lui devons.





Photo ⒸClément Savel

Laissez-nous un commentaire

Cliquez pour commenter

Vous devez être connecté pour publier un commentaire. Login

Leave a Reply