Grand spécialiste du double langage, souvent, le président varie. À Belém, jeudi 6 novembre, il considérait « très positif » la possibilité d’aboutir à un accord sur le traité du MERCOSUR. Moins de huit jours plus tard, à Toulouse, devant une délégation de syndicalistes agricoles, il proclame que ce traité, « tel qu’il existe aujourd’hui, recueillera un non-ferme de la France ». Quand faut-il le croire, alors que, déjà, lors de la dernière réunion du Conseil européen, il avait expliqué que « tout allait dans le bon sens » sans préciser lequel ni pour qui !
Il n’est en fait qu’une froide et vulgaire girouette, servile à la violence du vent que souffle un capitalisme mutant mondialisé. Car le traité MERCOSUR est l’une des pierres philosophales du capitalisme chimiquement pur. Il n’est pas un traité de coopération, mais le déploiement d’une première colonne de chars contre nos terroirs et territoires, contre la santé humaine, celle des animaux et des terres, contre le climat et la biodiversité.
On ne peut sous-estimer ni les mensonges qui l’entourent pour mieux brouiller les pistes, ni l’ampleur du projet qu’il ordonne.
Non seulement ce texte se prépare dans le dos des peuples, mais voici qu’est déployée une charretée d’artifices pour le mettre en œuvre sans l’aval des parlements nationaux. En effet, le projet d’accord a été artificiellement scindé en deux, avec un volet commerce et un volet coopération. Et seul ce second volet doit être soumis aux parlements de chacun des pays de l’Union européenne. Autrement dit, les grandes transnationales qui dominent le commerce mondial ne se verront opposées aucune barrière pour imposer le traité qu’elles réclament à cor et à cri. Quelle est belle la démocratie libérale européenne !
Les pays du MERCOSUR pourraient donc exporter demain vers l’Union européenne du bœuf aux hormones et des poulets aux antibiotiques au détriment de la santé. Il est plus que curieux qu’une disposition inscrite dans le traité UE-Nouvelle Zélande interdisant aux industriels néo-zélandais d’exporter de la viande bovine produite dans des centres d’engraissement industriels (feedlots) ne soit pas reprise dans le MERCOSUR. En effet, il n’y a quasiment pas de tels centres d’engraissement en Nouvelle-Zélande, alors que l’élevage brésilien est basé sur ce modèle de milliers d’animaux qui ne voient jamais ni champs, ni brin d’herbe.
Le président de la République veut faire croire qu’il aurait obtenu des mécanismes dits de « sauvegarde » – une clause de sauvegarde qui permet de bloquer les importations en cas de déséquilibres « des marchés » – Il s’agit d’une grosse tromperie ! Il n’a rien obtenu. Ce mécanisme existe déjà dans le texte depuis 2019. Ajoutons que le déclenchement de « la clause de sauvegarde » est si long et si compliquée, qu’elle n’a aucune efficacité.
Le ralliement net de l’Élysée au MERCOSUR a une autre raison. S’inscrivant dans le militarisme européen décidé au dernier sommet de l’OTAN, les autorités allemandes ont promis aux dirigeants Français d’acheter les armes produites dans les usines françaises. L’Allemagne se trouve, en effet, prise en tenailles entre d’une part les sanctions contre la Russie qui la privent d’une énergie bon marché et la rendent dépendante à l’achat de pétrole et de gaz américains pour faire fonctionner ses usines, alors que Trump veut, dans un premier temps, de moins en moins de voitures allemandes aux États-Unis, avant de pouvoir liquider les fleurons d’Outre-Rhin. Pour soutenir ses firmes, l’Allemagne veut donc vendre ses voitures aux pays d’Amérique du Sud afin de se donner un peu d’oxygène face à l’offensive des groupes capitalistes nord-américains. Cette dépendance est aussi militaire puisque l’Allemagne achète le matériel américain au détriment des équipements européens, particulièrement français.
La transaction porte donc sur l’approbation plus ou moins tacite du traité MERCOSUR par la France, en échanges de la promesse allemande d’achats d’armes supplémentaires produites sur notre territoire national. Sur cette base et à la demande des firmes capitalistes européennes, M. Macron s’engage dans ce processus en maquillant la vérité. Il perdra sur tous les tableaux. Car le gouvernement allemand et bien d’autres continuent et continueront de s’approvisionner en matériel militaire américain. Ce commerce et ces marchandages peu ragoûtants se font contre la santé de toutes et de tous et contre le climat.
Car l’autre grand gagnant de ce funeste projet est l’industrie des pesticides, particulièrement la firme Bayer-Monsanto. Le projet d’accord prévoit l’abaissement des droits de douane sur les exportations de produits chimiques depuis l’Union européenne vers l’Amérique Latine, y compris pour les insecticides et pesticides interdits d’utilisation au sein de l’Union européenne. Déjà, le Brésil est le premier utilisateur mondial de pesticides et la seconde destination des produits phytosanitaires interdits dans l’Union européenne.
Pire encore. Pour ficeler l’ensemble, le traité comprend un mécanisme juridique dit « de rééquilibrage ». Que signifie juridiquement ce mot ? Cet ajout permet à l’une des parties signataires ou plutôt à leurs multinationales de demander des compensations à l’autre partie si « une mesure prise par l’autre partie affecte défavorablement le commerce ». En vertu de cet article, l’Union européenne ne pourrait pas voter des règles empêchant les importations de produits traités avec tel ou tel pesticide interdit sur nos territoires, sans compenser financièrement les sociétés (y compris européennes) installées au sein du MERCOSUR. En résumé, pouvoir est donné aux multinationales qui exportent à partir de l’Amérique du Sud de combattre nos propres lois à l’aune de leur seul intérêt commercial ou de leurs profits. C’est la légalisation de la perte de souveraineté des États au profit du grand capital.
C’est au regard de cet article qu’il faut juger la fausseté de la promesse des fameuses « clauses miroirs », c’est-à-dire le conditionnement de l’accès au « marché » européen au respect des normes sanitaires et de durabilité en vigueur en Europe. Il n’est pas possible d’avoir des « clauses miroirs » quand nos pays doivent accepter des mesures compensatoires au nom du « libre commerce » et de « la libre concurrence ».
Ainsi le règlement européen sur « la déforestation importée » (RDUE) qui visait à ralentir la destruction de la forêt amazonienne serait directement menacé par le « mécanisme de rééquilibrage ». Favoriser les importations de soja ou de viande bovine, accéléra encore la déforestation en Amérique Latine et la désertification rurale en Europe. C’est ce que montre une expertise d’INRAE menée par le chercheur Stefan Ambec** à la demande du gouvernement français. Selon ce rapport, le traité entraînera une augmentation du volume annuel de production de viande de 2 % à 4 % impulsant une déforestation de 700 000 ha. Sur cette base, l’expertise évalue que les rejets carbonés induits par cette déforestation passeraient de 121 millions à 471 millions de tonnes de gaz carbonique la progression des rejets carbonés. Le traité MERCOSUR va à l’encontre des orientations des conférences pour le climat.
Il est évident que la signature d’un tel accord dont nous venons de voir la gravité des orientations poussera en Europe à un productivisme agricole capitaliste encore renforcé au détriment des paysans-travailleurs rendus esclave des secteurs industriels d’amont et d’aval de la production, ainsi que des banques. Placé au cœur de la guerre économique intra-capitaliste source des grandes tensions géopolitique et militariste mondiale, les travailleurs et les peuples européens et latino-américains ont intérêt à rechercher des voies d’unité pour défendre et améliorer leurs conquis sociaux et des harmonisations sociales et sanitaires positives, pour la préservation du climat, pour le droit à une alimentation de qualité pour toutes et tous. Bref, de grands combats communs doivent être imaginé pour gagner une sécurité humaine globale contre la sécurisation des profits et du capital qui s’accumulent entre quelques mains dans le monde.
La mobilisation contre ce texte doit encore gagner en ampleur et en force. Les groupes parlementaires européens le défèrent devant la cour de justice européenne pour tenter de le bloquer. Des actions de sensibilisation et de déconstruction des mensonges qui se répandent sont indispensables. Nous sommes toutes et tous concernés.
Patrick Le Hyaric
14 Novembre 2025.
* Selon les organisations Public Eye et Unearthed,
** Rapport Ambec de la commission d’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur remis le 18 septembre 2020 au Premier ministre M Jean Castex.




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