De l’aéroport de Beauvais à La Défense, accompagné de sa valise à roulettes, Darius traverse à pied campagnes et banlieues pour mener à bien une mystérieuse mission. Avec Animal Totem, Benoît Delépine signe un conte écologique, touchant, drôle, étonnant et enfin, radical. Un regard sur ce que la nature nous offre de plus beau. Avec une rétine de prédateur, la plus large possible, grâce au cinémascope anamorphosé. Une fable de La Fontaine version western dont la morale n’est jamais moralisatrice. Sortie le 10 décembre. Entretien.
Votre film, Animal Totem, nous emmène dans un road trip à pied, sans empreinte carbone, dans les pas de Darius, le personnage principal, au cœur d’une nature grand format. Qu’est-ce qui a déclenché votre écriture de ce conte écologique ?
Benoît Delépine : J’habite en Charente depuis maintenant 27 ans avec ma famille dans une ancienne ferme que nous avons restaurée petit à petit. Picard d’origine, je me sens charentais d’adoption. Il y a deux ans, un projet d’implantation d’une usine d’enrobé pour les routes menaçait de s’implanter dans la campagne environnante, en limite de zone Natura 2000. Mais aussi à proximité d’écoles et d’exploitations agricoles en bio. Avec les vents dominants, cela promettait d’emmener toute la pollution dans la vallée de la Charente. C’était vraiment honteux au moment où le gouvernement se gargarisait de l’objectif zéro artificialisation nette en France. Un mobilisation citoyenne locale s’est soulevée avec un collectif dont j’ai fait partie. Pendant cette bataille, j’étais vert de rage et pessimiste car nous redoutions de faire face à un rouleau compresseur tel qu’on peut le voir face à des projets comme l’A 69. Et du coup, dans le même temps, j’ai commencé à écrire le film. Je pensais que même si on perdait, au moins je me vengerais cinématographiquement et symboliquement. Mais, finalement, le bon sens l’a emporté et le projet a été abandonné.
Par contre, moi j’étais lancé dans mon film que je ne voulais pas abandonner. J’avais également convaincu les producteurs. Et surtout, j’avais l’accord de l’acteur principal, Samir Guesmi, que je voulais absolument dans le film. C’est lui que je voyais avec ses grandes enjambées et son mélange de force et de douceur. Car je ne voulais pas d’un héros masculiniste, plutôt un pacifiste qui, tout d’un coup, estime que ça va trop loin et décide de passer à l’action.
De nombreuses scènes nous placent du point de vue de l’animal. Avec le soin de n’être jamais moralisateur, le film interroge de nombreuses questions de société. C’est une fable de La Fontaine ?
Benoît Delépine : C’est à la fois une fable de la Fontaine et à la fois un western, avec un personnage venu d’ailleurs, un peu mystérieux. J’aime les scénarios où l’on ne sait pas où on va, où tout s’explique à rebours… Là, je donne quand même des indices petit à petit. C’est pourquoi je signe « un conte de Benoît Delépine », avec un personnage de gros méchant assez caricatural, encore que…
Olivier Rabourdin en acceptant sans hésiter le rôle m’a dit « dans tout conte, il faut un ogre » ! C’est lui qui m’a soufflé le genre de l’histoire. Il joue parfaitement son rôle d’ogre de la fable et c’est vrai que le personnage principal est une sorte de Petit Poucet. Oui, il y a bien une dimension fable avec une forme de morale à la fin.
Dans le film, vous n’épargnez pas les grands quartiers d’affaires, les transports polluants et bruyants comme les avions, les grands patrons, la chasse, l’irrigation agricole, les pesticides, les réflexes sécuritaires, le racisme… Alors qu’elle est-elle la morale de cette histoire ?
Benoît Delépine : D’abord, peut-être, revenir à une forme de simplicité, de lenteur, de respect et d’écoute de la nature. Mais le plus fort politiquement du film est à la fin. Sans la dévoiler, il y a quelque chose dans ce système prédateur qui n’est pas récupérable et que je voulais dénoncer au bout du compte.
Cet été, plus de deux millions de personnes ont signé une pétition contre la réintroduction d’un pesticide contenu dans la loi Duplomb. La maladie et les pesticides sont abordés de façon drôle et sensible dans le film. Cela vient d’où cette sensibilité à vif sur ce sujet ?
Directement de ma vie. Je suis fils d’agriculteur. Quand j’étais enfant, souvent, mon père rentrait des champs jaune des pieds à la tête. Je ne sais pas par quelle chance il y a résisté. Mais, oncles, tantes, cousin, mère, beaucoup trop de mes proches sont morts du cancer « en bonne santé », « elle ne fumait pas », « c’est la faute à pas de chance ». Mais je ne blâme pas les agriculteurs. J’ai des grands débats avec mon père qui est encore vivant. Il me dit à chaque fois « N’oublie pas, tu es un fils du glyphosate ». Parce qu’en fait, il s’était endetté pour acheter une ferme de 40 hectares dans l’Aisne. La ferme s’est révélée pourrie de chiendent. Pendant deux ans, il a passé son temps à racler, sarcler, il n’en voyait pas le bout, jusqu’au jour où à la coopérative on lui a dit « il y a un nouveau produit qui vient des Etats-Unis, tu pourrais essayer… » C’est pour ça qu’il me rappelle toujours que sans ça il aurait fait faillite. Je connais toutes ces contradictions. Pas loin de la ferme de mon père, il y avait l’usine Bonduelle. C’est pour ça qu’il faisait des haricots, des petits pois, etc. Il me disait, « tu vois, agriculteur, c’est comme ouvrier d’usine, sauf que c’est toi qui payes les machines ». Je n’ai pas envie de jeter la pierre à ces agriculteurs qui ont des crédits de fou sur le dos. On est face à une espèce de contradiction totale et destructrice.
Avec Darius, il y a un second personnage principal, la nature et comme fil conducteur de l’histoire notre rapport à la nature…
Benoît Delépine : Et inversement ! C’est pour cela que je voulais absolument avoir le regard des animaux sur l’humain. Pour cela on a trouvé une solution incroyable avec le format du film en cinémascope anamorphosé. Au départ, nous étions parti du cinémascope surtout pour rendre à l’image toute la beauté des paysages de Picardie qui ont jalonné mon enfance. Puis aussi pour la dimension western du film, etc. Mais au bout du compte, j’étais déçu… Jusqu’à ce qu’on enlève la marge de sécurité sur les côtés du format qu’on ne montre jamais parce que les télés n’en veulent pas… On a donc élargi l’image avec cette marge et ça donne une largeur de vue incroyable ! Un peu comme la vision de certains animaux. Et du coup, on a réalisé le film comme ça, avec le courage de mes producteurs. J’en ai joué à fond dans mes cadres, ça donne une ampleur très poétique.
Nous avons aussi un deuxième chef opérateur, un jeune, qui ne fait que des films animaliers. Avec son matériel, ses caméras qui vont sous terre où sous l’eau, un drone pour la vision des oiseaux, on a pu tourné les scènes avec le regard animalier… Ça nous change du seul point de vue de l’humain.




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